Et si les murs pouvaient guérir ? C’est très imagée mais ça traduit exactement ce dont on va parler dans cet article.
Ce sujet me tiens à coeur car on ne parle pas assez de l’impact de notre environnement (intérieur comme extérieur) sur notre (re)construction ou sur notre mental. On passe tous par des épreuves plus ou moins compliquées dans notre vie, et selon moi, notre intérieur à un impact significatif sur la manière dont nous les traversons, qu’il soit positif ou négatif.
Qu’est-ce que veut dire « se reconstruire dans un lieu » ?
Se reconstruire dans un lieu, c’est faire en sorte que l’espace dans lequel on vit ne soit plus un rappel constant de ce qu’on a vécu, mais au contraire, un support, un pilier silencieux de notre processus de guérison.
Notre intérieur peut soit nous maintenir coincé·e dans une boucle mentale où chaque recoin nous renvoie à l’épreuve traversée, soit devenir un refuge, un cocon sécurisant où l’on commence doucement à respirer à nouveau.
Imaginons un lieu qui a été le théâtre d’une relation toxique, d’un burn-out, ou de violences. Même s’il est vide aujourd’hui, les murs restent chargés, presque imprégnés des souvenirs lourds qu’on a vécu entre ces quatre murs. Et parfois, malgré toute notre bonne volonté, l’espace devient une entrave à notre propre avancée. On reste figé. Comme enfermé dans un décor qui ne raconte que le passé.
Mais ce même lieu peut aussi être transformé. Parfois, un simple réagencement, une nouvelle atmosphère, une déco repensée, peut suffire à changer la dynamique. Ce n’est pas de la magie, ni un effacement du vécu car on ne gomme pas les douleurs avec un coup de peinture mais c’est une manière de reprendre le pouvoir, de dire « Cet espace, c’est à nouveau chez moi. Ce n’est plus chez la douleur. »
Se reconstruire dans un lieu, c’est donc recréer un environnement qui nous appartient pleinement, dans lequel on se sent à nouveau maître des lieux et de sa vie.
L’espace après le choc : Comment l’environnement influe sur la guérison
1. Que se passe-t-il dans le corps et dans le mental après un choc (traumatisme, rupture, burn-out, violence) ?
Après un choc émotionnel ou psychologique, qu’il s’agisse d’un traumatisme, d’une rupture, d’un burn-out ou de violences, le corps et l’esprit réagissent immédiatement. Mentalement, on peut se sentir confus, dans un flou constant, vidé de toute énergie émotionnelle, parfois même détaché de la réalité. La peur et l’hypervigilance s’installent, donnant l’impression de ne jamais être vraiment en sécurité. Physiquement, la fatigue devient écrasante, les tensions musculaires s’accumulent, le sommeil se dérègle et chaque bruit, lumière ou odeur peut sembler agressif.
Dans ces moments-là, le lieu de vie prend une dimension particulière. S’il a été témoin de l’épreuve, il se charge de souvenirs et devient le miroir de notre état intérieur. Certains ressentent alors le besoin irrépressible de tout ranger pour retrouver un semblant de contrôle, d’autres au contraire laissent le désordre s’installer, comme pour matérialiser le chaos qu’ils portent en eux. Un espace figé, resté tel qu’il était “avant”, peut enfermer dans le mal-être : les objets, les couleurs, les odeurs rappellent sans cesse ce qui s’est passé, empêchant d’avancer.
Pourtant, un lieu peut aussi devenir un réel outil de reconstruction. En modifiant la disposition, la lumière ou les couleurs, en y intégrant des éléments rassurants, on peut peu à peu se réapproprier cet espace pour qu’il incarne autre chose que la mémoire de l’épreuve et qu’il redevienne un véritable refuge.
2. Quel rôle peut jouer l’environnement dans cette phase ?
Il m’est arrivé à trois reprises de vivre dans un espace qui était devenu une véritable prison, à la fois mentale et physique. Dans ces moments-là, chaque pièce, chaque objet semblait figé dans le souvenir de ce qui s’était passé. J’avais l’impression que les murs eux-mêmes gardaient en mémoire la douleur, et cette charge invisible me tétanisait. C’était comme si le simple fait d’y être me coupait le souffle et m’empêchait d’agir, rendant tout changement ou projet presque impossible.
Mais j’ai aussi observé, chez moi et chez d’autres, l’effet inverse : un lieu qui, par sa lumière, sa chaleur, sa configuration ou simplement l’énergie qu’on y met, devient un point de renaissance. On s’y sent respirer à nouveau, on retrouve un ancrage, une sécurité, et petit à petit l’envie de créer, de recevoir ou même juste d’être là sans appréhension.
Pour moi, se sentir en sécurité dans un espace est une condition essentielle à la reconstruction. Sans ce socle rassurant, on reste sur la défensive, incapable de se déposer vraiment. Mais quand on trouve ou façonne un lieu qui nous enveloppe, on offre enfin à notre esprit et à notre corps la possibilité de relâcher la vigilance constante, et c’est là que la guérison commence.
3. Quelles sont les premières choses que je changerais dans un espace pour apaiser quelqu’un en reconstruction ?
Si quelqu’un venait me voir en me disant : « je viens de vivre quelque chose de difficile, je me sens mal chez moi », je commencerais par observer ce que l’espace renvoie émotionnellement. Si les murs, le mobilier ou certains éléments portent encore la trace des souvenirs douloureux, je chercherais à les transformer de façon simple : repeindre pour changer l’atmosphère, modifier un meuble en le rénovant pour lui donner une toute autre apparence, déplacer certains éléments pour rompre avec la configuration “d’avant”. Je ferais aussi un grand tri en mettant de côté tout ce qui ne correspond plus à mon “nouveau moi”. Je nettoierais de fond en comble, car pour moi, ranger et purifier l’espace est presque un rituel instinctif : lorsque je suis contrariée, j’ai ce besoin irrépressible de tout réorganiser, jeter, nettoyer, trier.
Concernant les souvenirs, certains peuvent être gardés s’ils apportent du réconfort ou de la force, mais de mon point de vue, tout ce qui rattache directement au traumatisme doit partir. C’est une manière de couper le lien avec ce qui a fait mal, même si le geste peut être difficile.
Et si la personne n’a pas de budget pour tout refaire, de petits changements peuvent déjà avoir un impact émotionnel fort : réorganiser la disposition des meubles pour créer plus de fluidité, changer l’éclairage pour une lumière plus douce et apaisante, ajouter quelques textiles confortables (coussins, plaids) dans des matières agréables, ou encore intégrer des plantes pour réintroduire de la vie et de la respiration dans l’espace. Parfois, même simplement aérer, déplacer quelques objets, et poser une bougie parfumée ou un vase de fleurs suffit à amorcer un sentiment de renouveau.
4. Reconnaître un espace qui étouffe ou insécurisants pour une personne en reconstruction ?
Certains lieux ou agencements peuvent être particulièrement néfastes pour une personne en reconstruction. Lorsqu’on a entassé trop de choses, l’espace devient vite oppressant, comme si l’air y circulait moins. À l’inverse, un intérieur trop vide peut donner la sensation d’un lieu froid, impersonnel, presque étranger à soi-même, ce qui renforce l’impression de vide intérieur. La luminosité joue aussi un rôle essentiel : la lumière naturelle apporte de la gaieté et de l’énergie, alors qu’un intérieur sombre a tendance à refermer l’esprit et à nourrir l’anxiété. Plus on reste dans la pénombre, plus il devient difficile d’en sortir psychologiquement.
Certaines pièces ou objets peuvent aussi être “chargés” négativement, par exemple un linge de lit associé à une période douloureuse, un canapé témoin de disputes ou un objet décoratif qui rappelle un moment difficile. Ces éléments, même discrets, peuvent entretenir un état émotionnel lourd sans qu’on en ait toujours conscience.
L’agencement a également une influence directe sur l’état mental. Un canapé mal positionné face à une porte, une pièce encombrée qui bloque la circulation, ou l’absence totale de lumière naturelle peuvent renforcer l’anxiété ou la mélancolie. J’ai déjà travaillé dans des lieux où mon énergie créative semblait complètement bloquée, au point que je ne pensais qu’à trier, nettoyer ou tout simplement partir. Dans ces cas-là, rien ne “passe” tant qu’on n’a pas enclenché un vrai travail de désencombrement et de réorganisation.
(Re)donner du pouvoir à travers l’espace
Reprendre possession de son espace après un choc est essentiel, car c’est une manière concrète de réaffirmer que cet endroit nous appartient et qu’il répond à nos besoins actuels, pas à ceux d’avant. C’est un acte symbolique et pratique qui dit : « Ici, je choisis ce qui m’entoure, ce que je vois, ce que je ressens. »
J’ai déjà vu de nombreuses personnes, et je l’ai moi-même vécu, se reconstruire à travers la rénovation d’un lieu, la réappropriation de leur intérieur, ou même un changement plus radical : dire adieu à leur ancien cocon et partir vers un nouvel espace, une nouvelle ville, voire un nouveau pays. Ce mouvement physique accompagne souvent le mouvement intérieur de guérison.
L’acte de choisir ses couleurs, ses meubles et ses matières est en lui-même un acte de soin et de reprise de contrôle. Les couleurs influencent directement notre perception : des tons doux et lumineux peuvent apaiser, tandis que des couleurs plus profondes peuvent donner un sentiment de protection. La forme des meubles compte aussi : des lignes arrondies apportent une impression de douceur et de sécurité, là où des angles vifs peuvent sembler plus stricts ou froids. Dans certains cas, arrondir ou protéger les coins de mobilier, comme on le fait pour les enfants en bas âge, contribue à créer un environnement où le corps se sent physiquement en sécurité. Les matières naturelles, comme le bois, le lin ou la laine, renforcent cette sensation d’ancrage et de confort, tandis que des textures trop froides ou artificielles peuvent créer une distance émotionnelle.
Transformer dehors pour guérir dedans
Ce que j’aimerais que tu retiennes, c’est que se réapproprier son intérieur est une étape essentielle de la guérison, mais parfois ce n’est pas suffisant. L’espace peut soutenir, apaiser, donner de l’élan, et en même temps il ne remplace pas l’accompagnement thérapeutique, médical, juridique ou le soutien des proches. La reconstruction n’est pas linéaire : il y aura des jours où on avance, des jours où on stagne, des retours en arrière, et c’est normal.
Si je n’avais qu’une phrase à dire à quelqu’un qui traverse un moment difficile et ne sait pas par où commencer chez lui, ce serait : « Fais un premier pas, même minuscule, défais un lien à la fois, avance à ton rythme, demande de l’aide, et rappelle-toi que c’est ok de pleurer, d’hésiter, de recommencer. »
Mon rôle en tant qu’architecte d’intérieur ayant vécu ce type de moment, c’est d’offrir un cadre sûr et clair pour transformer l’espace sans te brusquer, de traduire tes besoins en choix concrets, de rythmer les étapes, de protéger ton énergie en triant l’essentiel du superflu. J’ouvre la voie, tu gardes la main. Ce que cela m’apporte, c’est le sens très concret d’être utile, la joie de te voir reprendre du pouvoir sur ton quotidien, et l’humilité de t’accompagner dans un moment délicat.